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Pointe du dard (3206 m)

    △ vanoise, savoie - france

- voie normale par le glacier de Roche Ferran -

Samedi 5 et dimanche 6 octobre 2019

Fiche technique

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     Il faut parfois forcer le destin, faire confiance à sa bonne étoile et sentir l’air du temps. Comme dit le proverbe breton, qui trop écoute la météo, passe sa vie au bistrot. Il fallait en effet une certaine foi en ce premier week-end d’octobre pour oser s’élancer dans la réalisation d’une course.

En effet, les prévisions hebdomadaires sont exécrables. Pourtant au fur et à mesure de la progression de la semaine une fenêtre semble se dessiner.

Je décide donc d’emmener avec mois huit motivés ou insensés me direz vous, dans ma volonté de déflorer le dernier sommet manquant de la couronne du glacier de Roche Ferran, la pointe du Dard.

C’est également pour moi l’occasion d’étrenner mon nouveau brevet d’initiateur en randonnée alpine obtenu sur ces mêmes pentes du massif de la Vanoise en juillet dernier.

Pte de la Réchasse (Vanoise)

Après un départ en milieu de matinée de Chambéry, nous atteignons Pralognan vers midi. Une petite pause roborative et nous prenons la direction du refuge du col de la Vanoise. L’hiver n’est pas encore complètement là, mais les premiers signaux sont déjà bien visibles sur les plus hauts sommets. L’aiguille de la Vanoise, légèrement saupoudrée, émerge lentement de masses nauséeuses, lui donnant un côté presque terrifiant.

Arrivée au lac des Vaches, la traditionnelle carte postale a virée au monochrome. La verdoyance a laissé place à un décor tout en grisaille. Bienvenue en Islande, ou sur le plateau tibétain. Aurait-on atteint le lac Namtso ? La panthère des neiges si chère à Sylvain Tesson et Vincent Meunier va-t-elle descendre des flans de l’aiguille de la Vanoise ? Minéral, animal...

La montagne apparaît dans toute sa bestialité, sa puissance brute. Un condensé du désir, de la liberté, un frison d’interdit de parcourir ces contrées qui peuvent de révéler hostiles.

Me reviennent alors en tête comme un letmotiv ces très belles pages de l’ouvrage d’Elodie Bernard,  Le vol du paon mène à Lhassa

Le paon est un animal symbolique important de la religion bouddhiste. Il représente notamment la transition entre désir et libération. Un parfait résumé de mes sensations du moment. Certains membres du groupe font la grimace face aux éléments qui ne sont guère engageants. Je trouve alors quelques bons mots rappelant le proverbe norvégien « Il n’y a pas de mauvaise météo, que des mauvais vêtements ». Après tout, cela fera sourire Matthias, il ne pleut pas, c’est le nuage qui est légèrement humide !

 

Nous continuons notre progression tantôt sur les roches délitées, tantôt les pieds dans la neige. Puis, au détour du dernier virage, le refuge apparaît, solitaire, isolé, s’extirpant des brumes qui hantent les lieux. Il est là, posé au milieu de nulle part. Salutaire, pour le randonneur égaré dans le mauvais temps. Dans ces heures livides, on en viendrait presque à penser que le mantra bouddhique « Salut à toi joyau dans la fleur de lotus » a été composé pour lui.

En fin d’après-midi, je pars reconnaître le début du parcours nocturne menant à la pointe du Dard. Je débusque au passage un gros chamois mâle qui tente, en prévision de l’hiver, d’emmagasiner toute la vitamine C possible de timides éclaircies. Nous nous faisons face, dans le silence assourdissant de la montagne qui ne semble qu’être là pour nous. Puis, après quelques minutes, il fuit d’un pas alerte vers d’autres rochers, comme insensible à l’attraction terrestre qui nous englue de manière pataude lors de nos laborieuses pérégrinations.

Au dessus de moi, dans l’axe de progression de la voie normale menant au glacier de Roche Ferran, la pointe de la Réchasse crève brutalement l’épais voile nuageux. Une éclaircie bienvenue aussi fugace, qu’intense, irise la blancheur de la face toute ouatée des premiers flocons hivernaux. Il est cependant déjà temps de rentrer au refuge pour fêter dignement le 35ème anniversaire de notre copine Sophie.

Face à la Grande Casse

Plus haut, la neige se faire de plus en plus présente. Le sentier cairné se perd progressivement sous un tapis blanc de plus en plus dense. La course devient une excellente école de neige pour les participants une fois les crampons chaussés.

Nous atteignons enfin le glacier d’une blancheur immaculée. Le monde, une éternité gelée.

A l’image des représentations monastiques dans la tradition bouddhique, le paysage s’organise en trois strates. Dans les cieux, la glace éternelle, sur les pentes les pics de roc où se prennent les brumes et dans la vallée, le règne de la vitesse.

Nous sommes seuls au monde dans un désert blanc. Nous marchons dans l’éther, comme en apesanteur, où quand vous avez la sensation de marcher sur la banquise, un parfum d’aventure. L’âme se nourrit tout autant que le coeur. Me revient alors cette phrase tirée de l’Ecclésisate, que Alexandra David-Neel avait choisi comme règle de vie :

 

"Marche comme ton coeur te mène et selon le regard de tes yeux".

Nous remontons le glacier, passant au milieu d’une des emblématiques vagues de Roche Ferran. La couche de neige est de plus en plus épaisse. Il me faut « chaler » pour faire la trace. Je décide pour davantage de sécurité d’obliquer en direction de la crête rocheuse bordant le versant et qui doit nous mener jusqu’à la cime du Dard.

L’air sent la pierre froide. Le regard se perd dans le lointain. Seul… nous profitons du moment. Un pur bonheur, seulement altéré par la nécessité de redescendre car nous savons que dans l’après-midi le temps va se gâter. Déjà sur les Préalpes, les accumulations nuageuses s’intensifient. Ce soir, des pluies d’orages s’abattront sur nous. Lorsque le tonnerre gronde, le vol du lagopède vous mène toujours vers les chemins de la liberté.

Départ au petit matin dans une tiédeur inattendue. Les automatismes sont déjà bien en place. Quelques échanges brefs, mais précis pour faire un rapide tour d’horizon de l’équipement des participants et nous voilà partis. Le chemin est gorgé d’eau et le gel nocturne n’a presque pas mordu à 2500 m. Rapidement, les muscle chauffent afin de remonter un court passage rocheux d’où descend la prise d’eau du refuge.

Nous nous suivons en silence, nos pensées seulement éclairées par la lumière blafarde de nos frontales. Mais déjà, au loin, une aube lie-de-vin se détache sur la Maurienne. La masse sourde de la Grande Casse et de ses chevaliers servants, la Grande et la Petite Glière, commence également à se faire sentir.

 

Puis, en ne prêtant plus attention au crissement de nos pas sur les premiers reliquats de neige, une mélopée guttural se fait entendre. Nous nous immobilisons… l’éructation reprend. Pas de doute, des perdrix des neiges nous accompagnent. Peut-être nous montrent-elles le chemin vers la pointe du Dard ! A peine refaisons nous quelques pas que l’une d’entre elles s’envole à tire d’ailes. Quelle pureté, quelle élégance. Les lagopèdes n’ont pas encore totalement revêtu leur manteau d’hiver, laissant encore apparaître quelques moirures chamoisées.

Sur le glacier de Roche Ferran (Vanoise)
Sur l'arête sommitale
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