
Deux années d’attente se sont écoulées depuis notre dernier séjour en Norvège. Cela nous a semblé une éternité tant nous sommes attachées à ce royaume du Nord, aux lumières spectrales si envoutantes.
Après deux séjours nordiques en étoile, l’organisation se veut plus aboutie et importante avec la mise sur pied d’un raid en ski randonnée nordique. Direction Finse et le plateau central du Hardangervidda pour une itinérance de 5 jours. Bienvenue en Norditude !
Partir en raid au Nord de l’Europe nécessite un minimum de préparation. Au delà de la logistique purement matériel (achat des billets d’avion un an à l’avance, réservation des refuges, des billets de train, adhésion au DNT, l’équivalent du du Club alpin en Norvège…), il faut que le groupe soit suffisamment entraîné et soudé pour pouvoir faire face à toutes les situations. En effet, en cas de pépin dans ces vastes espaces où l’homme est relativement peu présent, on ne peut bien souvent compter que sur soit même.
Deux week-ends préalables de raids sont donc organisés durant l’hiver. L’un fin janvier avec la traversée du Haut-Bugey et le second fin mars sur le plateau d’Emparis. Ils nous permettent de tester le matériel, de faire le point sur les aspects sécuritaires et de nous entraîner en vue du jour J. Le groupe, composé de 8 participants, 3 Emmanuelle (2 filles et un gars), Philippe, Marie, Sophie, Vincent et Lucile et de deux encadrants, Gilles et moi sommes donc fin prêts et impatients en cette mi-avril.

L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, nous enseigne la maxime. Assurément le nôtre promet d’être radieux ! Nous quittons Chambéry au milieu de la nuit pour rejoindre l’aéroport de Lyon. À 6h15, notre avion décolle, direction Oslo, la dynamique capitale scandinave. Nous sommes au comble de l’excitation !
Notre vol avec correspondance à Amsterdam se déroule sans encombre et il ne nous reste alors plus qu’à emprunter le train devant nous mener jusqu’à la plus haute gare de Norvège : Finse, culminant à 1222 m d’altitude.
Il fait beau en arrivant en Norvège, très beau même. Un ciel d’azur sans aucune restriction. Les augures sont au beau fixe. La chance est avec nous et cela sera une constante durant la totalité de notre raid.
16h18, le train siffle trois fois et le long convoi se met en marche comme dans une pièce de théâtre. Les neiges des hauts plateaux n’attendent plus que nous.
Les paysages défilent lentement, le roulis de la machine berce doucement les membres du groupe fatigués par une journée débutée bien trop tôt. Les forêts succèdent aux forêts, et les lacs aux lacs. De ci, de là, quelques habitations s’égrènent en chapelet le long de la voie ferrée.
Puis, les premières plaques de neige se détachent au sol, avant de s’imposer résolument. Pourtant le cadran de l’altimètre ne s’affole que très doucement. Nous sommes mi-avril, presque au niveau de la mer, mais la neige et la glace sur les lacs n’ont pas encore rendu les armes.

Hello
- NORWAY -


Gol, Geilo, les annonces crachées par des hauts parleurs de Vy, la compagnie nationale ferroviaire norvégienne, nous indiquent que nous approchons du but. L’altitude se fait plus marquée et l’enneigement désormais constant. Après Geilo, l’une des stations de ski les plus réputées de Scandinavie, la végétation disparaît et les paysages deviennent caractéristiques de ces contrées de hautes latitudes. La longue agonie du soleil sublime ses immensités immaculées, aux sommets arasés, rabotés par les ans et les coups de boutoir des glaciers. Puis soudain, au sortir d’un tunnel, le train s’immobilise, face à quelques constructions de bois. La fourmilière se met en mouvement, on extirpe les bagages, les pulka pour certains, les skis pour d’autres. On veille à ne rien oublier dans les voitures et à bien tout disposer sur le quai encore bien enneigé. Nous y sommes Finse, plus haute gare d’Europe du Nord. Des touristes, en tenue peu adaptée pour la circonstance, descendent pour se faire photographier devant le panneau avant de remonter promptement dans le train par peur de rester à quai ou à cause du froid. Ils leur restent alors quelques heures de voyage pour rejoindre Bergen et la côte de l’Atlantique.
Nous concernant, c’est la fin du voyage et le début de notre périple à ski. Ils ne nous restent plus qu’à parcourir les quelques centaines de mètres qui nous séparent de notre hébergement : Finsehytta.
En bon organisateur, je me suis bien gardé d’annoncer au groupe la qualité des refuges norvégiens. Les premières minutes sont contemplatives face aux glaces de l’Hardangerjøkulen. Notre objectif du lendemain.
Pour l’heure, nous laissons les skis devant le bâtiment et pénétrons dans le hall surchauffé du refuge. Nous sommes accueillis par Rigmor Sæbo, la gardienne, qui a gentiment attendu l’arrivée du dernier train pour envoyer le dîner. Nous sommes la veille de Pâques et en Norvège, cela correspond avec la période principale de ski en montagne ! Le refuge est donc plein et on fête cela dignement. Amuses bouche, suivi du traditionnel agneau pascal avant de terminer par un gâteau, accompagné d’une crème anglaise. On sait recevoir dans les refuges norvégiens !
Cependant, fatigué oblige, nous ne demandons pas longuement notre reste avant de rejoindre notre chambre pour un repos bien mérité.

FINSE

Nous débutons la journée par un gargantuesque petit-déjeuner. Pour les membres du groupe pas encore habitués au fonctionnement des refuges norvégiens c’est la stupeur ! On est loin de la tranche de pain rassis et du chocolat à l’eau que l’on peut rencontrer dans certains de nos refuges alpins. Ici, le buffet est plantureux avec charcuterie, œufs brouillés, céréales, saumon et sans oublier les inégalables vaflers, gaufres version norvégienne. Il faut dire que le buffet sert également pour se confectionner son matpakke, l’encas de la pause déjeuner. On peut donc se préparer des petits pains avec du jambon, du saumon, ou encore du brunøst, célèbre fromage à pâte marron originaire du Gudbransdal, quand il ne s’agit pas de kaviar. Oh, pas de confusion, il s’agit de pâte à tartiner à base d’œufs de cabillaud ou de crevettes la plupart du temps que l’on trouve fréquemment dans les pays nordiques.


Ayant récupéré des forces, nous sommes prêts pour affronter Gjøken. Pas d’inquiétude, il ne s’agit pas d’un Wampa rescapé du tournage de Star Wars, l’empire contre attaque, qui s’est déroulé il y a quelques années à Finse. C’est en effet le petit nom que les Norvégiens donnent au vaste glacier tabulaire du Hardanger qui nous fait face, par delà le lac englacé du Finsevatnet.
Nous débutons par un petit briefing et c’est parti pour une première descente, un peu gelée pour prendre pied sur le lac.
L’allure est plus ou moins esthétique en fonction des membres de l’équipe. Pour certains cela chablate sec, pour d’autres on sent de la crispation… Il faut petit à petit prendre ses marques.
Le décor à ce quelque chose d’envoûtant, de grisant. Un monde fait de camaïeu de blancs.
Nous prenons plein sud, en tirant direction le Nordre Kongsnutten, contrefort du glacier, dominant l’Appelsinhytta que nous atteignons rapidement.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un refuge, mais davantage d’une cabane de secours entretenue par la Croix rouge locale et qui peut servir d’abris d’urgence pour les personnes qui seraient prises dans le mauvais temps. On a du mal à l’imaginer avec le soleil radieux et sans nuages qui nous suivra durant tout notre périple, mais les hauts plateaux norvégiens dans la tempête peuvent vite virer au calvaire.


Appelsinhytta
Nous poursuivons notre route afin de nous hisser sur les épaules du géant. Nous délaissons la débonnaire langue glaciaire de Middalen et bifurquons par une pente un peu plus sévère afin de rejoindre la cabane de Jøkulhytta qui domine tout le plateau sommital du glacier. En été, la traversée du Hardanger oblige à un large détour pour contourner cette immense masse de glace. Pour nous, un long faux plat descendant est au programme. On jette un dernier regard vers le sommet de l’Hallingskarvet au loin avant de débuter dans un style plus ou moins élégant la redescente vers Finse. La neige est excellente et on alterne entre virages télémark et godille pour les autres. Pour certains, on est encore dans le sauve qui peut !
Qui n’a jamais skié avec le talon libre ne peut s’imaginer la sensation de déséquilibre qu’il faut constamment gérer.
C’est véritablement comblé que nous rejoignons pour une seconde nuit le confortable refuge de Finse. Demain, les choses sérieuses débutent !


C’est le grand jour. Nous débutons véritablement notre raid dans le massif du Skarvheimen. En Europe, nos paysages sont profondément marqués par l’être humain et rares sont les territoires de nature sauvage. Nous allons pourtant avoir la chance pendant quatre jours de pouvoir déambuler sans croiser le moindre village où la moindre habitation. Une immersion dans le wilderness si chère aux pères américains de l’écologie.
Ce n’est finalement pas si étonnant qu’Arne Næss, célèbre philosophe norvégien, à l’origine des concepts philosophiques de l’écologie profonde et de l’écosophie, n’est décidé en 1937 de se construire une cabane de bois et de pierre de 8 mètres sur 5, sur les contreforts de l’Hallingskarvet, au-dessus d’Ustaoset, pour se reconnecter à la nature… et concevoir l’ensemble de son projet philosophique. Tvergastein est d’ailleurs toujours debout et peut faire l’objet d’une belle randonnée estivale.
Pour nous, il est temps de partir à la découverte de ce « père de la bonne et longue vie », comme le désignait le philosophe, et ainsi nous emplir de ces immensités.



La première étape est relativement courte avec 16 petits kilomètres à avaler. Nous allons donc prendre le temps de profiter des paysages. Nous traversons la voie ferrée menant à Bergen et c’est partie pour six kilomètres d’une montée très régulière sans difficulté.
Quel bonheur d’être seuls à glisser dans ce décor avec presque aucune trace à perte de vue. C’est tellement rare dans nos Alpes.
Au col du Omnsbreen, la descente n’attend plus que nous. Nous nous éparpillons dans la combe afin de profiter de ces belles et douces pentes propices à des courbes. Le bonheur à l’état pur. Cela peut paraître niais, mais nous éprouvons réellement un sentiment de liberté et de bien être.
Les kilomètres défilent rapidement et nous atteignons sans coup férir l’Omnsvatnet. Quel silence ! Pas âme qui vive.


L’Omnsvatnet
Nous poursuivons jusqu’à notre refuge du jour : Geiterygghytta. L’accueil y est également remarquable et dans un confort tout scandinave, où s’amusent dans le calme les jeunes enfants du couple de gardiens et de leurs assistants.
C’est d’ailleurs une constante ici, les enfants font très tôt de la montagne et il n’est pas rare de les croiser dès tout jeune, avec des sacs à dos afin de s’échapper de refuge en refuge.


Geiterygghytta


Longue journée pour le groupe avec une étape d’environ 26 kilomètres pour 560 mètres de dénivelé positif et 700 mètres de négatif.
Elle débute par une erreur d’aiguillage. Les bénévoles du DNT (l’équivalent du club alpin en Norvège) ont beau aux alentours de Pâques, baliser les principaux itinéraires à ski à l’aide de kvist, petites branches d’arbres plantées dans la neige tous les vingt ou trente mètres, encore faut-il suivre les bons !
Emportés par la joie de reprendre la route avec une neige de rêve côté glisse, je loupe à proximité du refuge la bifurcation qui doit nous conduire à une montée soutenue en direction des contreforts de la montagne Sundehellerskarvet (1612 m). Nous filons à bride abattue en direction du Vestredalsvatnet. Après un kilomètre de glisse, je fais arrêter le groupe. Le chemin emprunté ne correspond pas à mon souvenir du topo que j’ai préparé… Je sors la carte, prends rapidement mes repères qui confirment mon impression. Nous partons Nord-Ouest, au lieu de Nord-Est/Nord.
Pas plus inquiet que cela, je décide de réaliser une erreur volontaire à l’aide de la ligne à haute tension et nous retrouvons rapidement l’itinéraire prévu.

Sur les pentes du Sundehellerskarvet
La tension est cependant palpable dans le groupe ce matin. En effet, les plaisanteries et autre fou-rire ont cédé la place à un profond silence. Chacun est dans sa bulle. Concentré.
Le 3ème jour dans un raid est souvent le plus complexe à gérer pour les participants. La fatigue est parfois présente et l’organisme n’a pas encore pris la mesure des efforts qu’il doit répéter inlassablement jour après jour. Quand cela est couplé à une étape majuscule, on comprend aisément l’attitude des uns et des autres.
Malgré tout, nous profitons. Les paysages sont différents des jours précédents. Plus alpins.
Au col de Rossdalen, nous enchaînons quelques pas de descente avec les peaux. Puis une nouvelle montée jusqu’au pied de la montagne Bolhovd s’offre à nous. Nous croisons nos premiers parcs à rennes, inoccupés en hiver. Malgré tout, l'imaginaire est là. On se prend pour Frison-Roche dans le Rapt, roman consacré à la vie des éleveurs de rennes où au milieu de l’une des enquêtes de la police des rennes de l’excellent Olivier Truc.
S'ensuit une alternance de montées et de descentes jusqu’à la cabane de Kongshelleren (1450 m), peu avant la moitié de l’itinéraire où nous déjeunons.