Grande traversée du vercors
△ vercors, isère/drôme - france
- de Corrençon au col de Rousset en ski de randonnée nordique -
Corrençon, kilomètre 0 de ce
long ruban blanc qui doit nous mener à l'extrémité Sud de la citadelle du Vercors. Blanc... en êtes vous si sûr que cela ? Blanc cassé, blanc gris... blanc sale à bien y songer. Le massif est souvent présenté comme offrant la possibilité de connaître l’expérience du Grand Nord à quelques pas de chez soi. Des températures glaciales, du blizzard, de l’isolement... nous ne connaîtrons que la dernière des composantes. Reste l’ambiance, infiniment sauvage dans cette traversée des Hauts-Plateaux, dont la traversée constitue un must compte tenu de la nécessité d’évoluer en totale autonomie. Réchaud, duvet, nourriture... font partie de notre paquetage pour le week-end.
En ce samedi matin, les dieux de la montagne hésitent encore entre l'hiver et le printemps. Les perce-neiges ne vont certainement pas tarder à percer la frêle couche de neige qui recouvre le green du golf du petit village vertacomicorien.
Fort heureusement le regel nocturne permet à nos skis de randonnée nordique (SRN) de ne pas s'enfoncer dans une mélasse infâme qui aurait tôt fait de ruiner totalement notre glisse.
J'emmène un groupe de 5 personnes du CAF de Chambéry pour réaliser l'une de ces grandes classiques de l'itinérance en SRN, cette fameuse Grande Traversée du Vercors si chère aux coeurs de nos amis Isèrois.
Certains sont des adeptes des vagabondages, tel mon ami Manu qui a notamment réalisé la traversée intégrale des Pyrénées, mais pour qui c'est une première à ski. Pour d'autres, la flânerie s'accompagnera de la découverte de cette pratique vieille comme le monde, puisque cette forme de glisse a été inventée et pratiquée dès la préhistoire par les peuples nordiques et de l'Altaï.
Le soleil est levé depuis déjà un bon moment, mais la neige a perdu de son éclat. Le départ convivial, au coeur du domaine skiable de fond, tempère un peu la morosité ambiante. Les fondeurs se font rare en cette fin de saison. Sur cette neige damée par les passages des piétons et aujourd’hui glacée, l’accroche aléatoire nous fait vite entrer dans le vif du sujet.
Martine, initiatrice en ski de fond, mais dont c’est la première en SRN, met rapidement les peaux afin de cesser de jouer à l’équilibriste sur cette patinoire qui peut après le stade de biathlon s’incline de plus en plus en direction du 45e parallèle. Après ce premier kilomètre d’échauffement, nous quittons le vaste chemin de ronde à proximité des pistes de fond et empruntons un sentier plus étroit rendu chaotique par les raquettes. Prochaine étape, la cabane de Carette. Au dessus de nous, se dessinent entre les trouées de la canopé les silhouettes des cimes de la barrière est du Vercors, Grande Moucherolle, Deux Soeurs, Arête du Gerbier... Nous avons au passage une petite pensée pour Lionel Terray qui y perdit la vie en 1965 à la fissure en Arc de Cercle.
L’enneigement bien que s’améliorant quelque peu, reste encore très aléatoire jusqu’au 45e parallèle. Nous faisons une courte pause devant le monument à croix de Lorraine afin d’avoir une petite pensée pour les maquisards qui tombèrent dans la citadelle pour que vive la Liberté. Ce lieu de mémoire fait face à une petite stèle matérialisant le 45e parallèle. Nous sommes alors à 5000 km de l’Equateur, mais également du Cercle polaire Arctique. Petite émotion avec Martine en prenant conscience que dans trois semaines nous serons justement sur cette dernière ligne imaginaire lors d’un séjour en Laponie finlandaise.
Nous poursuivons sur le GR91 jusqu’à atteindre la Cabane de Carette (1355m). La progression a été relativement lente, devant composer avec un enneigement capricieux. Nous prenons quelques instants pour découvrir cet édifice plein de charme avant de nous élancer dans une descente rendue scabreuse par l’étroitesse du sentier et une neige tassée.
Après quelques pics d’adrénaline nous atteignons la belle combe de Darbounouse (1290m). Quel plaisir de retrouver un paysage ouvert avec cette belle clairière. La première partie de l’itinéraire se déroulant de manière systématique en forêt, est rendu ainsi quelque peu monotone.
Nous nous délectons donc du paysage et ne pouvons résister à l’envie de nous élancer pour tracer quelques courbes de télémark dans des belles pentes vierges, certains avec style et grâce, d’autres de manière plus heurtée. Qu’importe l’allure du moment que le plaisir est là !
Arrivée à la cabane de la Jasse du Play
Après cette interlude, nous serpentons à nouveau dans la forêt pour nous engager dans le canyon des Erges qu’il nous faut remonter. Il s’agit de l’une des rares failles permettant l’accès aux plateaux sommitaux du massif du Vercors. A la montée, il ne présente pas de difficulté particulière, mais à la descente cela serait une toute autre histoire... le site est bien dans l’ombre et pourrait très facilement se transformer en toboggan glacé.
Alors que nous n’avons croisé que fugacement au loin que quelques randonneurs, se dessinent dans la pente en contrebas de Tiolache le Haut (1592 m), situé au débouché du canyon, une puis, deux, puis trois silhouettes. Elles montent rapidement vers nous et s’arrêtent quelques instants pour échanger avec nous. Il s’avère qu’il s’agit d’un groupe de 11 personnes d’un club de montagne de Voiron parti le matin même du col de Rousset afin de réaliser dans la journée la traversée jusqu’à Corrençon. Il est déjà 16 heures et ils doivent encore parcourir 16km et descendre notamment les Erges.
De notre côté, nous nous élançons avec délectation dans les pentes d’un large vallon. La neige a transformé sous les effets ardents des rayons du soleil et nos skis portent à merveille. Nous nous écartons même de l’itinéraire pour ajouter quelques descentes supplémentaires. Après tout, la cabane de la Jasse du Play est proche et l’horaire n’est pas encore trop avancé. Nous décidons donc de profiter du moment.
A un kilomètre de l’arrivée de notre étape, un ravin nous barre la route. Il nous faut alors déchausser pour descendre grâce à un passage en « S », entre les strates rocheuses. Une dernière montée abrupte et nous atteignons un vaste et beau vallonnement sur les bords duquel est posé notre hébergement pour la nuit.
Trois personnes sont déjà arrivées. Prévoyant, je préconise aux membres du groupe d’installer rapidement leurs affaires sur le plancher de bois à l’étage au cas où il y aurait affluence ce soir. Bien m’en pris puisque la Jasse du Play affichera plus que complet à la nuit tombée ! Plus de vingt personnes souhaitent y passer la nuit. Pour la tranquillité, la quiétude et l’isolement, on est très loin d’une cabane posée aux bords du lac Baïkal…
L’aventure est de l’autre côté de la porte dirons certains. Après avoir posé les sacs, nous nous projetons dans un univers très « bushcraft » en partant couper du bois mort et faire le stock d’eau à la petite source du Playe sous les hospices crépusculaires du Grand Veymont.
On se reconnecte pleinement à la nature. Alors que l’eau chante claire en tintinnabulant le long du goulot de nos gourdes, les oiseaux chauffés par les premiers rayons du printemps s’en donnent à coeur joie. On est très dans l’esprit du Friluftsliv norvégien avec ce délice de vivre au grand air et de goûter aux plaisirs simples que nous offre ce cadre unique. Le temps semble comme suspendu.
Gaelle prolongera l’expérience en dormant même sous un sapin durant la nuit, profitant de l’aube naissante pour écouter les roucoulements des tétras lyres.
2ème jour...
Quelques minutes avant mon réveil, alors que le calme règne encore en maîtres, je sors m’imprégner du silence des lieux. Je suis là, en chaussons fourrés de bivouac à déambuler sur cette neige qui craque, qui crisse sous mes pieds. L’impression de marcher sur la banquise alors que j’avale goulûment de grandes bouffées d’air frais. Au loin, le soleil se lève sur la muraille orientale du Vercors. Panorama majuscule de ces grands espaces vierges qui sont à la racine du bonheur nordique. On devient contemplatif.
Afin d’échapper à l’agitation étouffante de la cabane, nous décidons de partir rapidement après nous être levés pour déjeuner à proximité de la source où nous sommes ravitaillés la veille. Le genre de petit-déjeuner dominical qui vous donne le moral pour de longues semaines !
Puis, nous nous élançons à nouveau à bride abattue. Direction, le col de Rousset.
Les peaux sont à nouveau de mise avec le regel nocturne, bien que le profil de l’étape se révèle réellement nordique avec des ondulations régulières tout le long du parcours. La seconde étape de notre traversée présente des paysages plus ouverts nous offrant la possibilité de profiter pleinement des vues sur Pierre-Blanche, le Grand Veymont, les Rochers du Parquet...
Le Grand Veymont (2341 m), toit du Vercors
Les kilomètres défilent et la température monte doucement, ramollissant la neige devenue moquette. Nous ne résistons d’ailleurs pas à l’idée de tracer quelques nouvelles courbes dans une belle clairière, nous écartant ainsi du tracé du GR 91. Il nous faut alors naviguer à vue pour rejoindre la Grande Cabane (1563 m) et notre itinéraire initial. Comme quoi quelques minutes d’inattention peuvent contribuer à très rapidement s’égarer.
Le chemin jusqu’au col de Rousset n’est alors plus qu’une formalité. Il ne reste en effet plus qu’une petite et régulière montée jusqu’à la cabane de Pré Peyret (1600 m) où nous déjeunons puis c’est la dernière ligne droite en « faux plat montant » jusqu’aux pistes de la station Nous avons alors l’impression d’évoluer dans un four solaire. La température est volcanique, nous ruisselons. Aucune brise pour nous ventiler. Seule la vue panoramique sur les Hauts-Plateaux et leur ceinture bastionnée de la haute chaîne nous fait oublier le souffle chaud du Printemps. Pour parachever le tableau, le mont Aiguille apparait furtivement à quelques encablures de l’Obiou.
La Drôme… fin du périple. Die n’est qu’à quelques kilomètres à nos pieds. Le Sud déjà. La végétation sans que l’on ne s’en aperçoive a changé. Les épicéas ont fait place au pin cembro, le Vercors se fait plus rocailleux. Finalement, ce paysage se met au diapason de l’ambiance météo. Pour le froid polaire on repassera, mais pour le côté « wilderness » nous sommes contentés.